La Jamaïque secouée par les évènements
En 1965, l’euphorie liée à la récente acquisition de l’indépendance commençait à retomber. La Jamaïque fut alors secouée par plusieurs événements. La mort de Malcom X en février 1965 y fit l’effet d’une bombe. Puis, durant l’été, la visite du pasteur Martin Luther King fut triomphale. Son discours, basé sur une intégration douce des Noirs au monde occidental (Antilles comprises), fut accueilli à bras ouverts.
À cette époque, apparurent également les terribles rude boys ou rudies, des jeunes garçons désoeuvrés et violents, issus du ghetto.
La naissance de Trenchtown
Pour rajouter au climat déjà tendu, le ghetto légendaire de Back-a-Wall, véritable centre de la foi rasta, fut rasé par des bulldozers. Le parti JLP, fraîchement élu et pro-américain, avait fait détruire le bidonville pour y installer ses plus ardents défenseurs dans de nouvelles habitations. Les nombreux rastas qui vivaient là-bas allèrent alors se réfugier à Trenchtown, bastion du PNP, le Parti National Populaire. Ce quartier produira beaucoup de grands chanteurs, comme Alton Ellis, les Wailing Wailers de Bob Marley, Ken Boothe, Desmond Dekker ou Buju Banton, et fut immortalisé par la chanson des Wailers «Trenchtown Rock».
Description du rocksteady
Dans ce contexte tendu, le ska semblait un peu trop guilleret. Apparut alors un nouveau son, plus lent et davantage influencé par la soul américaine. Ce nouveau style appelé rocksteady amena plusieurs changements pour les musiciens. La basse électrique remplaça la contrebasse, élément central du ska. Une seconde guitare fut rajoutée, doublant la ligne basse en utilisant un son étouffé. La section cuivre, autre élément central de tout groupe de ska, se fit plus discrète. L’orgue et le piano s’imposèrent petit à petit comme les nouveaux points centraux. du groupe. De façon générale, le rocksteady délaissa les influences jazz et le tempo soutenu du ska pour des harmonies proches de la soul et un rythme plus syncopé. Cette musique régna sans partage sur le paysage musical jamaïcain de 1966 à 1968.
Principaux musiciens
Le principal groupe de musiciens de l’époque était composé d’anciens Skatalites. Mené par Lynn Taitt, un guitariste de Trinidad, et Tommy Mac Cook, ancien saxophoniste des Skatalites, ils enregistrèrent sous le nom de Supersonics ou de Jets pour le compte de Duke Reid. Un groupe, à la formation presque identique, nommé les Soul Vendors, enregistrait également pour Clement Dodd. Ils étaient alors menés par Roland Alphonso, lui aussi ex-Skatalites.
Entre 1966 et 1968, ces groupes vont enregistrer d’innombrables morceaux, accompagnant de splendides chanteurs. En effet, le rocksteady, influencé par la musique soul, se prêtait magnifiquement aux groupes vocaux aux harmonies très élaborées, ainsi qu’aux chanteurs à la voix suave.
L’équipe de Treasure Isle
Depuis son studio fraîchement construit, Treasure Isle, le label de Duke Reid, domina cette période, talonné de près par Studio One.
Chez le premier, le trait caractéristiques des productions était de posséder un son délicat, se mariant à merveille à la nouvelle musique. Ses principales stars de l’époque étaient les Paragons de John Holt, les Jamaicans, les Techniques, les Melodians, les Sensations, les Ethiopians et Freddie Mac Kay.
L’équipe de Studio One
À Studio One, le jeune claviériste Jackie Mitoo dirigeait les séances d’enregistrements et arrangeait les morceaux. Les artistes maison étaient les Heptones, les Gaylads, les Termites, Alton Ellis, Ken Boothe, Delroy Wilson, ou Marcia Griffiths.
Le chanteur Alton Ellis
Les autres artistes et producteurs
Beverley’s ne fut pas en reste et sortit quelques perles comme «007 (A Shanty Town)» de Desmond Dekker ou des chansons de Derrick Morgan.
À noter que la plupart des artistes reconnus n’enregistraient pas que pour un producteur, ce qui est une constante dans la musique jamaïcaine. Ce fut le cas d’artistes comme Slim Smith et de beaucoup d’autres.
À cette époque se firent aussi connaître de nombreux jeunes artistes comme les Kingstonians, Derrick Harriot, Ken Parker ou Cornell Campbell. Et de nouveaux producteurs apparurent ou confirmèrent leurs précédents succès, comme Joe Higgs, Bunny Lee ou Sonia Pottinger.
De nombreuses reprises de soul U.S.
De nombreuses adaptations de chansons de soul U.S. sont enregistrées dans des versions rocksteady par des chanteurs comme Slim Smith («Gipsy Woman» des Impressions) ou Ken Boothe («Mustang Sally» de Wilson pickett).
Premières influences rastas
Il est important de souligner l’expansion du mouvement rastafari à l’époque, suite à la visite de Haïlé Sélassié, visite qui marqua les consciences.
À la suite de cette visite, beaucoup d’artistes ne chantèrent presque plus que sur des sujets sociaux et rastas, annonçant le reggae roots.
Au fur et à mesure, la basse se fit de plus en plus présente dans le son du rocksteady. Il s’agissait également d’un signe avant-coureur de l’arrivée du reggae.